Une équipe de chercheur du CNRS, a répondu favorablement à la demande de traitement des données issues de la plateforme du « Vrai débat ». Cet outil de démocratie participative a permis de constituer un document d’intelligence collective de premier ordre, qui se démarque du simple sondage d’opinion.
Nous identifions quatre grands blocs de revendication :
- les personnes qui interviennent dans le Vrai Débat veulent une transformation profonde du système politique ;
- ils demandent le renforcement du service public ;
- ils portent une forte demande de justice sociale et fiscale
- ils ont une vision très nette de l’urgence des questions écologiques et climatiques.
Il faut noter une série d’autres thèmes qui, sans avoir le même caractère central que ces quatre blocs, dessinent des aspirations sociétales progressistes qui complètent le tableau : importance du système d’éducation, volonté de faire progresser l’égalité hommes-femmes, lutte contre les violences sexuelles, lutte contre la répression, droit à mourir dans la dignité.
Les propositions qui vont dans le sens du refus de l’immigration, du refus de l’Europe (frexit), du repli sur soi, du retour à l’ordre moral existent mais sont très minoritaires : contrairement à ce qui est trop souvent affirmé pour dénigrer le mouvement des Gilets jaunes, les participant.e.s au Vrai débat ne sont, dans leur très grande majorité, ni xénophobes, ni antieuropéens, ni homophobes.
1- Transformation profonde du système politique.
Trois points émergent clairement :
- Demande de la création d’un Référendum d’initiative citoyenne (RIC)
- Prise en compte du vote blanc et nul,
- Volonté d’avoir des élus irréprochables et sans privilèges
On ne ressent pas de refus du système représentatif en tant que tel, en revanche on trouve toute une série de propositions de réformes visant à remettre les citoyens au coeur du système politique. Par ailleurs, on relève une suspicion très forte de corruption et d’avantages indus qu’il faudrait supprimer. La question du contrôle des lobbies est présente et s’inscrit dans la même logique.
2- Renforcement du service public :
Plusieurs propositions insistent sur la nécessité d’arrêter son démantèlement, de renforcer les équipements qui font partie des biens communs perçus comme menacés. La demande d’un service public efficace et proche des citoyens est récurrente.
La demande de proximité et d’égalité d’accès s’exprime pour la santé (hôpitaux, maisons médicales, médecins), pour les infrastructures de transport (lignes ferroviaires et gares, autres transports en commun).
Beaucoup de propositions demandent des nationalisations ou des « re-nationalisations » pour les autoroutes, les aéroports, le rail, les barrages hydrauliques, les mutuelles, les assurances, les secteurs de l’énergie, les compagnies de eaux et celles de récolte des déchets.
3- Demande de justice sociale et fiscale
Le titre (et la typographie) d’une des propositions résume l’attitude consensuelle sur la justice fiscale et la colère contre ceux qui fraudent : « Les gros payent GROS et les petits payent PETIT – lutter contre l’évasion fiscale ». Il y a une forte demande d’équité (proportionnalité, progressivité) et de sanctions envers les fraudeurs. La lutte contre l’évasion et la fraude fiscale, le retour de l’ISF sont présentés comme des revendications de justice mais aussi comme des moyens de financer les mesures proposées. Elle va de pair avec la revendication sur le CICE, dont est parfois demandée la suppression mais plus souvent encore la vérification d’effectivité : si ça ne sert pas à créer des emplois il faut récupérer les sommes avancées.
La question des revenus est clairement avancée sur la base de la revendication de justice sociale : indexation des salaires, des pensions et des retraites sur l’inflation, augmentation du SMIC, des retraites, des minima sociaux et de l’Allocation adulte handicapé (AAH), revalorisation des salaires pour les employés des EHPAD, les enseignants, les ATSEM, les personnels des hôpitaux, etc.
4- Des revendications écologiques très présentes
Contrairement à l’opposition rebattue entre « fin du mois » et « fin du monde », on observe une aspiration forte à la préservation de l’environnement, souvent conçu comme un bien commun de toute l’humanité.
Interdiction de l’emploi du glyphosate ; soutien à l’agriculture bio ; sanction pour les entreprises pollueuses ; circuits courts ; interdiction des emballages non recyclables ou non biodégradables ; stopper le projet minier « Montagne d’or » en Guyane (une des rares propositions qui concerne les DOM).
Ces revendications récurrentes et significatives sont porteuses, dans les domaines concernés, d’une vision renouvelée de la société et du fonctionnement politique. Elles sont réalistes, au sens où elles s’accompagnent d’un souci constant de faire apparaître les possibilités de leur financement (voir notamment §3, justice fiscale).
Elles indiquent des sentiments essentiellement constructifs : la colère qui s’exprime lorsque sont évoqués privilèges, injustices et fraudes sert ici à penser des solutions de transformation.
(source médiapart)”
” Je ne pensais pas prendre FERME ” – livre de témoignages et analyse
Marie-France Carruezco. Retraitée à Montpellier, commence à suivre les audiences où comparaissent des Gilets jaunes. Elle assiste à 130 procès, entre avril 2019 et septembre 2020 ! Et commence à travailler avec la Ligue des droits de l’Homme (LDH) pour documenter ce qui s’y passe. Sa motivation première : ne pas laisser les prévenus isolés – quels que soient les faits qui leur sont reprochés – face à la machine policière et judiciaire à qui la ministre de la Justice enjoint « la plus grande fermeté ». Marie-France « est ainsi devenue une témoin exceptionnelle de la répression judiciaire du mouvement. Avec d’autres, elle a depuis monté le collectif Taramada pour venir en aide aux blessé·e·s », rappellent les auteurs. Voici un extrait de leur livre Je ne pensais pas prendre du ferme – Des Gilets jaunes face à la violence judiciaire, publié avec l’amicale autorisation des éditions du Bout de la Ville.
Les données amassées au fil des audiences dans ton « fameux » tableau Excel sont exceptionnelles en France : elles rendent compte de manière exhaustive de ce qui s’est passé dans un tribunal depuis deux ans. On repère des périodes plus ou moins répressives dans le prononcé des peines : une première période de novembre 2018 à janvier 2019 ; puis un durcissement en janvier 2019 jusqu’au printemps, quand le mouvement commence à décroître.
Marie-France Carruezco : Les trois premiers qui passent au tribunal le 21 décembre 2018 – pas pour des faits de manif – prennent des peines avec sursis. Jusqu’en janvier, il n’y a que du sursis. À partir de fin janvier 2019, et surtout en février et mars, les peines de prison ferme tombent de manière impressionnante. Et c’est très violent jusqu’en avril-mai. Ensuite, les procès se sont « calmés » sur les envois en prison. Le très gros, c’est janvier-avril. Il y en a eu encore après, mais sur des dossiers plus lourds, avec des instructions, des preuves, etc.
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Excellent ! Mis sur FB.
On est rassuré en lisant cette analyse des chercheurs du CNRS.
Mais comment fait-on pour changer de politique si le vote citoyen ne va pas vers ceux et celles qui le proposent ?